Nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec Bruno Van Boucq, fondateur et CEO de Proxistore, une entreprise leader dans le domaine de la publicité digitale. Y sont abordés la solution Proxistore, les brevets, les labels et la lutte contre l’abus de position dominante des Gafas.
Pourriez-vous vous présenter de la manière dont vous le souhaitez, en mentionnant notamment votre parcours professionnel jusqu’à la création de Proxistore en 2011 ?
J’ai 54 ans. Je suis diplômé d’un master en philosophie et lettres, et d’un autre master en informatique.
Je suis connecté à Internet depuis 1993. A cette époque, mon métier consistait à vendre de la publicité sur des sites internet premium issus de la presse magazine, de l’audiovisuel ainsi que d’apporter ces audiences aux annonceurs par l’intermédiaire de leurs agences.
Puis, en 2009, j’ai commencé à développer une technologie de géolocalisation pour compléter notre offre de services pour les annonceurs. Jusque-là, nous avions des demandes pour faire du local que l’on adressait via l’adresse IP. Nous nous sommes rendu compte que c’était très déceptif et nous n’arrivions démontrer l’efficacité publicitaire. Nous avons donc développé la technologie Proxistore que nous avons déposée en 2011 et améliorée en 2014. Notre technologie a été reconnue comme innovante et donc brevetée en 2016 par l’Office Européen des brevets. Aujourd’hui notre technologie est protégée dans 41 pays dans le monde.
Notre brevet a été très vite reconnu dans plus de 40 pays dans le monde, ce qui nous a permis de lever des fonds et d’aller nous installer (en plus de la Belgique) à Paris, en Allemagne, en Espagne, au Canada ou encore aux Etats-Unis.
Quelle solutions proposez-vous aux annonceurs, éditeurs et retailers ?
Nous sommes là pour monétiser les éditeurs.
Jusqu’à ce que Google rachète Youtube ou DoubleClick, les espaces publicitaires étaient très valorisés. Mais le modèle programmatique a paupérisé ces espaces. Les éditeurs se sont fait un petit peu piéger dans le sens où Google est venu les trouver en leur promettant de leur apporter de nouveaux annonceurs de qualité, à condition que l’audience puisse être achetée aux enchères. Google s’est alors mis à n’acheter que les inventaires non vendus, à des prix très bas. Par conséquent, les éditeurs ont perdu beaucoup de recettes.
Venant au départ du monde des médias, il me semblait indispensable que les éditeurs puissent travailler avec des partenaires de confiance, fidèles sur le long terme, et leur garantissant un apport de recettes. Je me suis alors présenté auprès de tous les annonceurs que je connaissais et je leur ai proposé d’acheter des éditeurs à un prix plus élevé que Google. Je pouvais me le permettre, car derrière, la technologie Proxistore garantit un reach efficace et donc une réussite publicitaire au niveau local. Alors, certes, les annonceurs payent beaucoup plus cher qu’en passant par Google, mais ils ont un service que Google ne leur offre pas, à savoir de la précision.
Aujourd’hui, nous avons des procès contre Google sur la géolocalisation et sur notre technologie brevetée qu’ils utilisent pour leur propre service Google Search. En revanche, là où Google ne met à disposition que l’adresse IP, nous sommes plus pertinents et précis. Nous pouvons identifier dans une zone les audiences disponibles sur l’ensemble du réseau avec lequel nous travaillons. Nous garantissons par ailleurs un réseau et un environnement de qualité pour les annonceurs, avec des partenaires comme 20Minutes, la Voix du Nord ou encore Ouest-France. C’est donc notre force par rapport à tout ce qui se fait in-app.
La force de notre technologie brevetée est également de pouvoir travailler avec ou sans cookie. Si cookie et consentement il y a, le travail de géolocalisation est facile. Autrement, il va s’agir de requalifier l’audience. Tout ce travail se fait, bien sûr, dans un soucis de conformité avec le RGPD et la CNIL.
Lorsqu’on navigue sur le site de Proxistore ou qu’on écrit votre nom dans un moteur de recherche, on tombe rapidement sur la volonté qu’est la vôtre de proposer des alternatives aux services que proposent les grands groupes américains. Pouvez-vous nous présenter votre combat face aux GAFAM ?
C’est vrai que j’ai un combat qui m’anime contre Google depuis 2018. Ce n’était pas un souhait de m’attaquer à Google. Le fait est, qu’en étant connecté à Internet depuis 1993 en ayant créé l’une des premières régies publicitaires Web en Europe qui s’appelait Be Web en 1995, j’ai vu arriver tous ces acteurs américains à une époque où il y avait zéro acteurs américains sur le territoire européen. J’ai vu Google apparaitre dans les années 90, puis Facebook quelques années plus tard. Ce que j’ai constaté, c’est qu’excepté ce qui les a fait naître, qui pour le coup sont des innovations exceptionnelles, toute l’évolution de ces grands groupes s’est par la suite faite exclusivement par le biais de rachats ou d’acquisitions. Je n’ai jamais vu un ingénieur de Google présenter quelque chose de fondamentalement original. Quasiment tout ce qui a été présenté sur le marché ont été des acquisitions, voire des vols de technologies.
Je ne dis pas que Google a copié notre technologie. Il n’en reste pas moins que nous avons une technologie qui a été brevetée et reconnue par des offices de brevets dans 41 pays et nous savons que ce n’est pas dans l’esprit de Google de reconnaître de la propriété intellectuelle.
Google a extrêmement peur des brevet. Ils craignent que quelqu’un développe une technologie qui pourrait surpasser la leur, et donc le simple fait qu’elle soit protégée détruirait toute la valeur ajoutée de Google. Donc, par défaut, Google ne reconnaît pas et combat les brevets. C’est une position très américaine. Google se vante de diffuser les technologies brevetées partout dans le monde, mais il ne rémunère pas pour autant par derrière. A titre personnel, je n’ai pas de problème à ce que Google utilise la technologie de Proxistore, mais cela doit donner lieu à une juste rétribution.
C’est donc ce en quoi consiste mon combat contre Google : faire en sorte que les propriétés intellectuelles soient respectées et rémunérées à leur juste valeur.
Je n’ai jamais vu Google comme un acteur bienveillant vis à vis des autres. Google rachète des sociétés et écrase les autres. C’est la politique de la terre brûlée. Ce n’est pas pour rien qu’un acteur comme celui-là détient aujourd’hui 85% du marché publicitaire mondial du digital. Et force est de constater que nous avons raison de nous battre contre des puissances comme celle-ci parce qu’à un moment donné, elles sont tellement puissantes qu’elles en oublient que lorsqu’elles sont dans une compétition, il y a des règles à respecter. Je suis ravi que l’Europe s’acharne à faire respecter ces règles et constate que Google a abusé de sa position dominante en régulant le marché des enchères. En quelques mots, ce que Google a fait, c’est de s’octroyer ce que les juges ont appelé le droit du dernier regard. Cela a ainsi dérégulé le marché de la concurrence. Nous ne pouvons pas l’accepter ni nous laisser faire.
Donc le combat se fait en deux parties. La première consiste à se battre pour défendre nos brevets. La deuxième est celle de la dénonciation des abus de position dominante. Défendre nos droits est selon moi notre devoir démocratique. Nous irons donc jusqu’au bout car nous sommes déterminés et que ce n’est pas parce que Google pèse 2000 milliards que nous laisserons passer tous ses agissements.
Frédéric Lecarme (@20minutes) a exprimé, dans une interview la semaine dernière : « Je pense aussi que le monde a changé et qu’aujourd’hui, il y a de plus en plus de méfiance du grand public par rapport aux GAFA. Le ‘Made In France’ est valorisé. Donc la certification prend tout son sens. Les labels permettent alors de bâtir le futur de demain sur l’engagement et la confiance ». Etes-vous d’accord ? Quelle importance accordez-vous aux labels et certifications dans votre combat face aux GAFAM ?
Sur le premier point, c’est un grand oui. Le monde est en train de changer. Il y a une prise de conscience chez les éditeurs, notamment parce que les régulateurs occupent enfin leur rôle et les politiques commencent à comprendre les dangers de la surpuissance des GAFA. Il y a aussi une prise de conscience des annonceurs qui découvrent l’importance de soutenir les écosystèmes français et l’écosystème digital européen. Et tant mieux, car la stratégie de Google est trompeuse : on supprime les cookies, mais néanmoins on ne fait pas grand-chose par derrière. En bref, on fait croire qu’on a une longueur d’avance ou qu’on est plus catholique que le pape. Mais derrière, l’objectif est toujours celui d’une plus grande mainmise pour Google.
Cette prise de conscience est une bonne chose, car Proxistore ne peut pas être seule dans ce combat. Nous devons être ensemble. C’est l’union qui fera la force. Ça, c’est certain.
Quant aux labels et aux certifications, ce sera effectivement une manière d’obtenir une forme de crédibilité et donc un pouvoir d’action.
Selon vous, quelles sont les grandes tendances présentes et futures qui vont structurer l’adtech dans les mois et années à venir ?
D’une manière générale, va se développer un meilleur contrôle des données des utilisateurs, c’est à dire que, dans un cadre bienveillant, la donnée sera bloquée selon la volonté des utilisateurs. Il y aura un meilleur contrôle sur la donnée des utilisateurs.
Cela ne veut pas dire qu’on ne pourra plus rien faire. La publicité restera omniprésente parce que nous savons que les consommateurs ne s’abonnent pas toujours à des contenus intelligents. Or, il faut permettre un accès gratuit à de l’information contrôlée et recoupée. Et pour cela, la publicité a une rôle indispensable à jouer : celui de la monétisation.
Plus fondamentalement, il va y avoir un combat entre les Européens et ces grandes plateformes américaines. Sur quoi allons-nous nous positionner ? Quelles tendances européennes vont émerger par rapport aux GAFA? Est-ce que les GAFA vont écraser les Européens ? Je pense que là sera l’enjeu.