Cette semaine, nous avons eu la chance de pouvoir échanger avec Frédéric Lecarme, directeur général adjoint chez 20 Minutes, un journal qui, comme il l’explique, place le lecteur au centre de sa philosophie. Au cours de cette riche discussion, sont évoqués la création du journal, l’approche privacy adoptée par 20 Minutes, sa vision des labels et enfin les enjeux de sobriété numérique.
Pourriez-vous vous présenter de la manière dont vous le souhaitez, en expliquant notamment votre rôle au sein de 20 Minutes ?
Je suis Frédéric Lecarme, directeur général adjoint au sein du journal 20 Minutes. Je travaille chez 20 Minutes depuis 2004. J’ai participé au développement du journal, de ses éditions sous forme papier, mais surtout à son développement numérique. Je m’occupe finalement de tout ce qui est partie industrielle.
Pourriez-vous m’en dire plus sur 20 Minutes (histoire, business model, dimension numérique, philosophie…) ?
20 Minutes est un éditeur d’information au sein duquel travaillent une centaine de journalistes salariés. Nous ne sommes donc pas qu’un journal. Le journal n’est qu’un moyen de diffuser des contenus que nos équipes de rédaction produisent. Nous utilisons tous les canaux à notre disposition pour rendre ces contenus accessibles au plus grand nombre.
Quand le numérique s’est développé, il est apparu évident que 20 Minutes devait être présent sur les supports numériques. Je pense d’ailleurs que nous avons été dans les premiers à basculer en publication numérique. Par exemple, en 2007 au moment de la sortie de l’iPhone en France, 20 Minutes était le seul journal national disponible sur ce nouveau support.
Le modèle économique de 20 Minutes est très similaire à celui de la radio : des contenus sont fabriqués et diffusés, puis des recettes publicitaires (espaces publicitaires sur le site 20 Minutes) permettent de dégager des revenus qui doivent à leur tour permettre à l’entreprise d’être rentable, d’assurer son fonctionnement, et de continuer à assurer son développement.
Par ailleurs, le journal est dans une logique éditoriale très claire. Il est apolitique au sens des partis politiques, mais très politique au sens citoyen du terme, dans la mesure où il s’adresse à des personnes actives, urbaines, qui ont un rôle à jouer dans la société et qui sont concernées par la vie de la société. Donc le but de 20 Minutes est de leur fournir de l’information, de les éclairer, de leur apporter de la connaissance sur différents types de sujets, mais surtout pas de leur dire quoi faire. Derrière la dimension numérique, il y a aussi une volonté très affirmée d’accessibilité pour tous.
C’est donc ce modèle qui nous permet d’offrir l’information à toutes et tous, gratuitement, et sous des formats différents afin que tout le monde y trouve son compte (papier, numérique). Et ce dernier a fait ses preuves, puisque ça fait de nous la quatrième marque en termes d’audience, après Le Figaro, Le Parisien et Le Monde.
Les législateurs et les régulateurs européens exercent une pression croissante pour imposer toujours plus de restrictions à la publicité personnalisée, certains ambitionnent même de totalement interdire la publicité ciblée. Quel est votre positionnement sur ce sujet ?
Nous essayons de construire l’audience de 20 Minutes sur la base d’une relation de confiance avec le lecteur.
Le lecteur qui vient chez 20Minutes ne doit pas se sentir floué ni agressé par les publicités. Donc nous faisons particulièrement attention à le respecter en étant transparents vis-à-vis de lui sur ce que nous pouvons faire des informations qu’il accepte de partager avec nous. D’autant plus qu’offrant un service gratuit, nous avons besoin de cette relation de confiance avec lui. Nous avons donc saisi l’occasion (avec l’arrivée et les évolutions du RGPD) d’aller vers nos lecteurs et de leur dire : voilà ce que nous faisons avec les informations que vous voulez bien partager. ; faites-nous confiance ; nous allons respecter la confiance que vous nous accordez.
Nous expliquons au lecteur que c’est parce qu’il y a de la publicité que nous pouvons leur fournir du contenu gratuit. C’est uniquement pour cette raison que nous arrivons à payer nos journalistes et à mettre le journal gratuitement à disposition. Bien sûr, il ne s’agit pas de l’asphyxier de publicités, nous tenons à respecter son expérience. Cette approche nous permet aujourd’hui d’avoir une audience consentie supérieure au marché.
Et justement, comment Agnostik permet à 20 Minutes d’atteindre ses objectifs privacy et sa philosophie fondée sur la confiance ?
Notre GVL était laissée livrée à elle-même, comme c’est le cas sur la majorité des sites. Nous voulions nous efforcer à comprendre et maîtriser comment fonctionnait cette immense boîte noire, au sein de laquelle il se passe énormément de choses, étant donné que le système du TCF n’est pas encore forcément bien compris par tous les acteurs de la chaîne de valeur.
Le premier travail qu’on a réalisé consistait à comprendre quels étaient les acteurs et les vendeurs qui étaient présents sur le site, ainsi que d’identifier leur utilité. L’idée est de mesurer le réel apport des vendors, et d’ensuite pouvoir décider avec lesquels travailler. Cela revient à, in fine, réduire la GVL aux acteurs dont nous avons réellement besoin, soit pour fonctionner, soit pour gagner un peu d’argent de manière transparente, maîtrisée et parfaitement gérée.
Le travail qu’on fait avec Agnostik nous permet d’aller ensuite vers l’internaute pour lui assurer qu’il peut nous faire confiance et que nous travaillons constamment sur ces sujets essentiels de conformité.
De plus, pour nous, l’intérêt légitime n’est pas un motif valable. Nous ne nous basons que sur la mesure du consentement. Et c’est ce consentement qu’on impose à nos vendors.
Nous tenons à ce que l’expérience reste agréable avant tout. C’est ainsi que nous pourrons obtenir, sur le long terme, ce fameux contrat de confiance et de lecture avec le lecteur. Le point de départ est donc le lecteur. En effet, s’il n’y a pas de lecteur, il n’y a pas de lecture, de ventes ou de données.
La fin des cookies tiers est, selon Google, pour bientôt. Comment le journal aborde ce changement majeur ?
Comme tout le monde, on s’y prépare. C’est difficile d’affirmer avec certitude ce qui se passera, il faudra voir comment tout cela évolue. Pour le moment, on voit qu’il y a des solutions qui se dessinent. Nous pensons, qu’avec une solution bien gérée et maîtrisée, nous serons capables, en travaillant un peu différemment, de continuer à adresser des publicités comme il le faut auprès de nos internautes. Pour le moment, nous abordons ce changement sereinement.
Quelle importance accordez-vous aux labels et certifications ?
Un label attribué par un tiers constitue une réelle valeur ajoutée. C’est pour cela, par ailleurs, que nous travaillons volontiers avec Agnostik pour développer un label privacy ou conformité. Ce type de label permettrait de garantir un niveau de maturité sur les questions de protection des données en ligne. Ce serait un vrai gage de confiance pour les lecteurs.
Les labels peuvent parfois être perçus comme des contraintes (administratives et financières) supplémentaires imposées aux éditeurs, et ce, sans que les grands groupes, pourtant d’autant plus concernés par les enjeux de privacy et de virtuosité environnementale, ne soient impactés. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que nous ne jouons pas dans la même cour que les grands groupes auxquels vous faîtes référence. Nous ne sommes pas sur la même échelle, et donc les problématiques sont différentes.
Vous avez raison de dire que ces labels ont un coût pour les éditeurs. Mais d’un autre côté, une instance reconnaît que la partie légale chez l’éditeur est bien faîte.
Nous n’avons pas la prétention de nous comparer aux GAFA, puisque notre métier n’est pas le même. Nous n’avons d’ailleurs pas le même service que Google ou Facebook. Pour quelqu’un qui vient sur le site de 20 Minutes afin de chercher de l’information, il est important d’avoir la certitude que son parcours sera respecté et ses données protégées.
Je pense aussi que le monde a changé et qu’aujourd’hui, il y a de plus en plus de méfiance du grand public par rapport aux GAFA. Le « Made In France » est valorisé. Donc la certification prend tout son sens. Les labels permettent alors de bâtir le futur de demain sur l’engagement et la confiance.
Récemment, le SRI (au sein duquel vous êtes membre), a publié son référentiel de calcul de l’empreinte carbone de la diffusion des campagnes digitales. Qu’est-ce que le journal 20 Minutes entreprend/ prévoit d’entreprendre en termes de sobriété numérique / publicité digitale responsable ?
Il y a beaucoup d’engagements sur ce sujet, allant de petites choses anecdotiques à des grands projets. Pour les petites choses, je pense à tout ce qui est rapidité d’affichage par exemple. Il y a énormément de petits chantiers qui, mis bout à bout, constituent un réel engagement.
Désormais il s’agit de mettre de la structure dans ces initiatives. En effet, l’équipe de 20 Minutes est jeune et engagée. Les projets de virtuosité écologique, d’éthique et d’inclusion sont donc portés par toutes et tous. Mais l’enjeu est d’établir une réelle gouvernance pour ces sujets. Ce qui est sûr, c’est qu’il est essentiel pour nous d’être à jour et d’être en phase avec les bonnes valeurs actuelles de la société et des lecteurs.